Richard Bennett
Depuis le ‘Jesus Movement’ du début des années 1970, aucun autre phénomène chrétien n’a été aussi étroitement lié à la culture qui se veut ‘de pointe’ aux Etats-Unis. De plus en plus d’assemblées rejoignent les rangs de ‘l’Église émergente’: elles sont généralement urbaines, et très récentes, avec une moyenne d’âge très basse. Peu d’entre elles ont plus de cinq ans d’âge.”
Tel est le constat du magazine “Christianity Today”, dans son article “The Emergent Mystique” [La mystique émergente] (1).
Il s’agit d’un mouvement nouveau qui se répand dans les milieux évangéliques occidentaux: peu nombreux sont ceux qui semblent comprendre ses procédés fondamentaux. Un examen attentif montre que ce mouvement rejette l’idée qu’une source unique, extérieure à l’individu, puisse permettre de connaître la vérité et la réalité.
L’Église émergente replacée dans son contexte plus vaste
Le mouvement de l’Église émergente n’a pas surgi du néant, et il n’opère pas dans le vide.
Pour avoir une vue d’ensemble, il est essentiel de comprendre qu’il y a trente-cinq ans, dans ses documents postérieurs au Concile Vatican II, l’Église catholique a publié un projet oecuménique non négociable. En voici un passage capital:
“… le dialogue oecuménique ne se limite pas au plan théorique et purement conceptuel: en s’efforçant d’établir une communion plus complète entre les communautés [les églises] chrétiennes pour qu’ensemble elles servent l’Evangile et collaborent mieux entre elles, il sert à transformer les modes de pensée, les comportements, et la vie quotidienne de ces communautés. Par cette voie, peu à peu, après avoir surmonté les obstacles qui empêchent la parfaite communion ecclésiale, se trouveront rassemblés par une célébration eucharistique unique, dans l’unité d’une seule et unique Église, tous les chrétiens. Cette unité, le Christ l’a accordée à son Église dès le commencement. Nous croyons qu’elle subsiste de façon inamissible dans l’Église catholique… ” (2)
Ainsi, au lieu de rechercher une unité fondée sur la vérité, une fois de plus la Papauté cherche à entraîner les autres dans le compromis pour les conformer à elle -même, dans une unité purement extérieure et visible. Tel est le contexte d’ensemble dans lequel l’Église émergente se situe.
Un homme de l’âge oecuménique
Brian McLaren est le pasteur d’une assemblée non dénominationnelle qu’il a fondée vers la fin de la décennie 1980. Il est le principal porte-parole du groupe “Emergent-US”, qui prédomine dans le mouvement de l’Église Emergente. A ce titre, il incarne le succès du programme oecuménique catholique: sa stratégie en témoigne. Sa biographie, sur son site Internet, indique qu’il a obtenu une licence et une maîtrise d’anglais à l’Université du Maryland. Il ne possède aucun diplôme officiellement décerné par un séminaire, mais a reçu en 2004 un doctorat de théologie honoris causa du Séminaire Théologique Carey de Vancouver, en Colombie Britannique. Il s’intéresse, entre autres sujets, “au théâtre médiéval, aux poètes romantiques, à la littérature philosophique moderne, et aux romans du professeur Walker Percy (un Catholique romain)”. C’est ainsi qu’il a été équipé en vue de sa tâche future.
Puisant abondamment chez des écrivains catholiques, surtout chez G.K. Chesterton, auteur de Orthodoxy, (3) Brian McLaren a rédigé un ouvrage intitulé A Generous Orthodoxy (Une orthodoxie généreuse). Il va plus loin que Chesterton dans sa critique du calvinisme et dans la caution qu’il accorde au mysticisme: il présente ce qu’il estime être une toute nouvelle méthode pour connaître la vérité chrétienne. Pour “faire passer” sa façon de voir auprès des Protestants qui ont encore des versets bibliques en mémoire et une Bible à la main, McLaren se place, pour l’essentiel, sur un plan subjectif. Cette tactique subtile fait partie de la méthodologie oecuménique préconisée dans les documents postérieurs au Concile Vatican II, depuis 1970.
L’amertume de McLaren envers son héritage
D’emblée, McLaren qualifie son livre de “confession”, ce qui lui permet d’exprimer ses opinions tout en se dispensant de les appuyer sur des arguments rigoureux. (4) Il déclare: “Il vous faut savoir que je me montre horriblement injuste dans ce livre qui est totalement dépourvu d’objectivité intellectuelle et d’impartialité.” Pour s’excuser, il invoque son héritage, et poursuit:
“Je suis beaucoup plus dur envers les chrétiens protestants conservateurs détenteurs de ce même héritage, qu’envers qui que ce soit d’autre. Désolé. Constamment je me montre mieux disposé envers les Catholiques romains, envers les Orthodoxes, et même envers ces terribles Libéraux, alors que sans cesse j’envoie des coups à mes frères conservateurs, d’une manière particulièrement agaçante, on pourrait même dire dépourvue de générosité. Je ne peux nullement prétendre à l’équité ni à l’objectivité.” (5)
Ainsi l’auteur admet qu’il éprouve de l’amertume envers son héritage protestant conservateur, en raison du contexte personnel dans lequelA Generous Orthodoxy a pris naissance. De nombreux admirateurs saluent, dans ce livre, un “manifeste” de l’Église émergente, alors que cet ouvrage s’inscrit dans le mouvement oecuménique de l’Église Catholique, à l’heure où la Papauté cherche à restaurer son empire politique perdu, c’est-à-dire le Saint Empire Romain qui lui a échappé il y a trois siècles et demi suite à la Réforme. Puisque la Papauté raisonne en termes de siècles (6) et non de décennies, ce n’est nullement une exagération de penser que d’une façon générale, dans le monde protestant, Brian McLaren et Rick Warren rendent de grands services au Pape.
Selon McLaren, ce livre s’adresse en premier lieu à ceux qui sont sur le point d’abandonner le christianisme; il les encourage à n’en rien faire. Mais pour cela, il commence par insulter la manière dont Protestants et Pentecôtistes conservateurs présentent Jésus et insistent sur le salut individuel, sur la nécessité d’avoir “un Sauveur personnel”. Ensuite il les encourage à considérer sa définition du “Jésus” catholique, qu’il associe à la “Théologie de la libération” et aux “Jésus” des libéraux protestants.
Ensuite, McLaren a l’audace de donner une définition nouvelle du Dieu Saint. Pour ce faire, il distingue entre le “Dieu A” et le “Dieu B”, comme cela se fait dans la controverse actuelle sur la masculinité ou la féminité de Dieu. Il écrit:
“Pensez à ce que serait l”univers s’il avait été crée par le ‘Dieu A’: il se caractériserait par la domination, le contrôle, les limitations, la soumission, l’uniformité, la coercition. Pensez maintenant à ce qu’il serait s’il avait été crée par le ‘Dieu B’: ce serait un univers d’interdépendance, de relations, de possibilités, de responsabilité, de devenir, de nouveauté, de réciprocité, de liberté” (p. 76).
Ce contraste fictif pousse le lecteur à choisir entre deux conceptions parfaitement subjectives d’un dieu imaginé par McLaren. Cela montre que pour McLaren, le critère de la vérité est sa propre théorie actuelle, et non la Parole infaillible de Dieu.
Une tactique pernicieuse et injurieuse
McLaren fait également savoir à ses lecteurs:
“Comme dans la plupart de mes autres ouvrages… je me suis donné du mal pour être provocateur, narquois, et obscur, et pour montrer qu’à mon avis, la clarté est chose surestimée” (7).
De plus, dit-il, c’est tout à fait intentionnellement qu’il a cherché
“à scandaliser, à opacifier, à s’amuser, à intriguer” (8).
Son style rappelle souvent celui du Catholique G.K. Chesterton. Après avoir posé, en guise de tremplin, le principe du subjectivisme et de la permissivité, McLaren expose sa conception du christianisme dans la partie la plus importante du livre, intitulée “Le chrétien que je suis”. En fait, il veut être une multitude ce chrétiens en même temps.
Sa stratégie est en général une attaque acrimonieuse contre les Protestants conservateurs. Il attribue à ce groupe une préoccupation majeure qu’il choisit lui-même avec soin, puis il donne sa propre définition des termes caractérisant le groupe en question. Ensuite il s’appuie sur sa nouvelle définition (qui en général est presque à l’opposé de la définition originale), pour déclarer qu’il fait lui-même partie de ce groupe, se disant notamment
- “calviniste ou fondamentaliste”,
- “méthodiste”,
- “évangélique”,
- “charismatique et contemplatif”,
- “libéral et conservateur”
- “catholique”,
- “vert”,
- “biblique”,
- “anabaptiste, anglican”,
- “mystique et poète”, ayant le sens de l’incarnation”,
- “attaché aux missions”,
etc.
Par exemple, il définit les calvinistes par “les cinq points du calvinisme” (9), qui lui font manifestement horreur.
Ensuite il fait une parodie de ces cinq points, en leur donnant sur toute la ligne un sens autre que leur sens habituel: puis, s’appuyant exclusivement sur sa propre redéfinition, il se déclare calviniste.
Les “fondamentalistes” sont un autre groupe qu’il a en aversion, ces “fondamentalistes combatifs”, dont il ne retiendra que la “combativité”. Il déclare ensuite que ce mot est un héritage légitime qu’il tient d’eux: il va donc “combattre” pour sa propre cause, en se qualifiant de “fondamentaliste”, alors qu’en fait il combat pour une cause diamétralement opposée à celle des fondamentalistes. Il se décrit donc comme “fondamentaliste et calviniste”, mais sous sa plume, ces mots veulent dire le contraire de leur sens habituel. On voit donc à quel point sa méthode anti-biblique engendre à dessein la confusion et la division.
En revanche, McLaren ne modifie pas radicalement la définition des groupes qui lui plaisent, par exemple les Protestants libéraux, les Catholiques, les mystiques, et les écologistes. Il se réclame de tous ces groupes, sauf du catholicisme romain. Il a une bonne raison:
puisqu’il se veut “post-protestant”, dans le débat oecuménique il veut conserver un droit légitime de protester. Mais il ne proteste pas contre le catholicisme romain, et il n’est pas protestant au sens historique du mot: il proteste contre les Protestants conservateurs d’aujourd’hui. Il s’avère que dans presque tous les chapitres, ses principales sources d’autorité sont catholiques, et qu’il se réfère très souvent à G.K. Chesterton.
Relativisme et compromis
Quoique McLaren se défende d’être relativiste, il se contredit par des raisonnements tels que celui-ci.
Comment sait-on si une chose est vraie?… On commence par s’impliquer dans des pratiques spirituelles, comme par exemple la prière, la lecture de la Bible, le pardon, ou le service. On observe ce qui se produit alors, et on reste ouvert à l’expérience.
Pour finir, on fait part de son expérience à d’autres personnes engagées dans une spiritualité, pour connaître leur discernement, pour voir si elles confirment ou non ces découvertes” (10).
Ailleurs, McLaren redéfinit la théologie. Pour cela, il puise abondamment dans les idées de Vincent Donovan, un prêtre catholique missionnaire. Donovan avait conclu que “la praxis” [la pratique] doit prendre le pas sur la théologie”, et que sa théologie découlerait de la théorie qu’il tirerait lui-même de son expérience auprès des paï ens (11). McLaren élargit cette définition de Donovan (et aussi d’autres) pour aboutir à la formule suivante:
“La missiologie [l’étude des missions] ne procède pas de la théologie: la théologie, au contraire, est une discipline qui dépend de la mission chrétienne. La théologie, c’est l’Église en mission, réfléchissant à son message, à son identité, et à sa signification” (12).
McLaren donne là une nouvelle définition de la théologie. En un mot, pour lui la mission détermine la théologie; ce n’est pas la théologie qui détermine la mission. Son critère est pragmatique: ce critère n’est plus l’autorité absolue de l’Ecriture, mais “ce qui marche bien”. Mais le Seigneur Jésus-Christ Lui-même déclare que
“L’Ecriture ne peut pas être anéantie” (Jean 10:35).
“Ma parole n’est-elle pas comme un feu – Oracle de l’Éternel – Et comme un marteau qui fait éclater le roc?” (Jérémie 23:29).
Voir dans la théologie un simple aspect de la mission chrétienne, c’est nier radicalement qu’il y ait une vérité absolue révélée dans l’Ecriture. Comme les existentialistes qui l’ont précédé, de toute évidence McLaren nie la foi biblique.
De l’eau au moulin du relativisme
McLaren désavoue également l’autorité biblique quand il déclare:
“Les premiers Protestants [les tenants de la Réforme au seizième siècle] ont transféré le centre, le pivot de l’autorité de l’Église vers la Bible, … grandement aidés en cela par l’invention de l’imprimerie. Mais la Bible demandait une interprétation humaine, ce qui posait problème… ”(13).
En affirmant cela, McLaren passe complètement à côté du fait que l’Ecriture doit être interprétée par l’Ecriture, comme il est dit dans le Psaume 36, au verset 10:
“Car auprès de toi est la source de la vie; Par ta lumière nous voyons la lumière.”
La vérité divine est éclairée par la vérité divine:
“Et nous en parlons, non avec des discours qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu’enseigne l’Esprit, en jugeant des réalités spirituelles par des moyens spirituels” (1 Corinthiens 2:13).
Après avoir écarté la vérité scripturaire, McLaren pose les fondements de la théorie dont il espère, citant la formule du Concile Vatican II, qu’elle
“ôtera les obstacles à la communion ecclésiale”.
D’après sa théorie, les Protestants conservateurs et libéraux ont autant de mal les uns que les autres à accepter l’autorité de la Bible dans le monde “post-évangélique”, “postmoderne”, et “post-libéral”, dans lequel leurs concepts civils et politiques reposent sur leurs convictions religieuses, ce qui les amène à se regrouper autour de pôles opposés.
Il faut, dit-il, que les uns et les autres se repentent de ces concepts, ayant
“les uns et les autres survécu par des moyens différents sur la mer houleuse de la modernité, et face, aujourd’hui, à une interpellation nouvelle: la collaboration indispensable pour sauver ce village que nous appelons la planète Terre” (14).
Devant ce problème qu’il qualifie de civil et de politique, suscité tant par les libéraux que par les conservateurs, McLaren déclare que les temps ont changé, et que par conséquent il faut changer les normes de l’interprétation biblique. Cette approche est d’autant plus intéressante qu’elle coï ncide avec la méthode de Rome.
Au début de son dernier Catéchisme, le Vatican donne comme critère:
“Lire … l’Ecriture dans la Tradition vivante de toute l’Église” (15).
Ensuite Rome va jusqu’à réprimander les égarés qui ont tendance à
“lire et interpréter les textes sacrés en-dehors de la Tradition et du Magistère de l’Église” (16).
McLaren est en train de s’engager dans un protocole comparable à celui de la Rome papale. Mais Rome l’a bien dit, c’est “peu à peu” qu’elle veut ramener à elle les Églises protestantes, au fur et à mesure que leur pensée se transformera grâce au dialogue avec les Catholiques.
McLaren réécrit l’histoire
En essayant de mettre les libéraux et les conservateurs dans le même sac, McLaren laisse apparaître son préjugé envers la foi évangélique. Il laisse entendre que c’est à l’époque de la Réforme du seizième siècle que pour la première fois les chrétiens ont commencé à mettre leur confiance dans la Parole écrite de Dieu (17). Sur ce point il se trompe, comme le démontre l’histoire des Vaudois, des Albigeois, et des disciples de Valdo. Il fait ressortir qu’aujourd’hui on cesse de mettre l’accent sur l’autorité de la Bible (il ne précise pas “sur la Bible seule”), tout comme au temps de la Réforme on avait cessé de faire confiance à l’autorité de l’Église catholique pour lui substituer celle de la Bible. Il attaque Martin Luther et le dépeint comme un individualiste qui refusait de s’incliner devant l’autorité catholique, mais ce n’est pas pour cette raison-là que Luther occupe une place importante dans l’histoire de l’Église. D’après McLaren, la célèbre déclaration d’individualisme de Luther, face aux autorités catholiques avec lesquelles il était en désaccord, est l’expression parfaite de ce changement:
“Me voici, je ne puis autrement”.
C’est là, pour McLaren, la toute première expression du monde moderne (18). Il se sert d’un fait historique pour disqualifier le salut individuel, ce qui le conduira tout naturellement à se prononcer pour le salut universel. Il passe complètement à côté du sens véritable de la position de Luther, qui dans cette déclaration affirmait la justification par la foi seule, fondée sur l’autorité de la Bible seule.
McLaren peut donc dire que Luther est “un homme d’un autre temps”, et que sa position est aujourd’hui sans valeur, car selon lui, les temps modernes ont pris fin. Il oublie que cette vérité biblique de la justification par la foi transcende complètement toutes les époques. Mais Brian McLaren approuve le Concordat signé en 1999 entre l’Église catholique romaine et la Fédération Luthérienne allemande, selon lequel Luthériens et Catholiques seraient maintenant d’accord sur la justification par la foi seule, la Réforme ayant constitué une erreur.
Pas un mot sur l’Inquisition
McLaren ne dit jamais que l’autorité de la Papauté romaine ne fut guère établie avant la fin du onzième siècle, quand par les croisades et par l’Inquisition, la Papauté força les peuples à se soumettre à ses diktats ecclésiastiques. Beaucoup refusèrent. Bien des millions de gens furent dépouillés, torturés, et acculés au martyre pour être restés attachés à l’autorité de la Bible.
Tout au long de ces siècles, il y a eu beaucoup de sang répandu parmi ceux qui résistaient aux doctrines et aux traditions catholiques. Brian McLaren reconnaît que sa présentation de l’histoire de l’Angleterre est injuste, mais il ne s’en excuse pas et ne fait rien pour rectifier sa conception révisionniste des faits historiques.
Il ne dit pas non plus que c’est la Papauté qui a ôté aux gens du peuple la Bible au Moyen Age, avec sa version latine que seuls les clercs pouvaient posséder (19). Il reste cependant un fait historique bien établi: même au quatrième siècle, les évêques de Milan, dans le nord de l’Italie, n’étaient nullement soumis aux évêques de Rome. Les documents historiques démontrent qu’ils ne se soumettaient qu’à l’autorité de la Bible, qu’ils ne connaissaient que deux sacrements, le baptême et la communion, qu’ils n’invoquaient que Dieu, et ne permettaient l’usage d’aucune image de la Divinité (20). Au neuvième siècle dans la même région des Alpes Cottiennes, on sait, grâce à l’évêque Claude de Turin, que les Vaudois professaient une foi apostolique fondée sur la Bible seule. Les membres de ces anciennes Églises alpines professaient essentiellement la même foi et avaient les mêmes pratiques que les réformateurs du seizième siècle. On peut en dire autant des Albigeois, contre lesquels la Papauté organisa sa première croisade au douzième siècle. Thomas M’Crie fait ressortir d’étonnantes similitudes dans son récit sur les prédécesseurs de la Réforme en Espagne au sixième siècle (21).
L’histoire montre que très tôt, c’est l’Église de Rome qui est devenue schismatique, et sa situation reste inchangée à ce jour. Ses corruptions sont devenues des traditions; la Papauté les propagées dans le “Saint Empire romain”, et elles continuent de prospérer grâce à la nouvelle stratégie papale, “la recherche de l’unité oecuménique”. C’était dans la logique des choses: le Concile de Vatican II (22) ayant accueilli le mysticisme oriental dans ce système déjà apostat depuis plus de quatre siècles et demi (23), le courant de mysticisme découlant de ses relations oecuméniques avec ceux qui “n’ont pas reçu l’amour de la vérité” n’en est devenu que plus puissant.
McLaren suit les règles du Concile de Vatican II
En adoptant cette conception qui fait une place à tout, McLaren respecte de toute évidence les règles établies par Vatican II en vue du dialogue: “Chaque partenaire [du dialogue] devra s’efforcer d’exposer la doctrine de sa communauté de manière constructive, en renonçantà la définir par opposition, ce qui conduirait à insister exagérément sur certaines positions, ou à les durcir de façon excessive. (24) Les partenaires chercheront à avancer vers une synthèse constructive , de manière à utiliser toute contribution légitime, dans une recherche commune afin d’assimiler entièrement les données révélées” (25).
McLaren est expert en littérature catholique. Sa manière d’aborder les protestants conservateurs montre clairement qu’il a assimilé la doctrine et la méthodologie du Concile Vatican II. S’interdisant de définir par opposition, comme il conviendrait de faire dans un débat public où l’on s’appuie sur la Bible, il fait sienne la stratégie de Vatican II. Il expose ses opinions subjectives, dans une tentative subtile pour pervertir l’autorité de la Bible ainsi que les faits historiques; il fait usage de contrastes fictifs, d’une version révisionniste de l’histoire, et de “synthèses constructives”. Il a redéfini les termes les plus courants de la terminologie protestante de façon à faire passer ses compromis sur la vérité pour “une contribution légitime”, conforme aux normes de Vatican II pour le dialogue oecuménique. Ces paramètres catholiques sont également des mots d’ordre dans le contexte général de l’Église émergente, et ils rendent service tant à l’Église catholique qu’à McLaren, car ils sèment la confusion et la discorde parmi les chrétiens aussi bien que les non chrétiens. La principale gagnante dans cette affaire sera la Papauté, car dans quelques décennies, McLaren ne sera plus là, mais la muraille doctrinale séparant Catholiques et Protestants se sera effritée encore un peu plus à cause de lui. McLaren lui-même, aiguillonné par son amertume, informé et protégé par tout ce vaste contexte, poursuit son propre but qui est de conduire le “village planétaire” religieux vers une nouvelle “connaissance” de Dieu au moyen du mysticisme. Dans les parties II et III de cet article, nous examinerons ces points de façon plus détaillée. McLaren déclare que ses idées sur “la pensée émergente” sont celles d’un “vrai prophète” (26).
Mais l’Esprit infaillible de Dieu, s’exprimant par l’Apôtre Paul, avertit les chrétiens qu’il y aura des
“loups cruels qui n’épargneront pas le troupeau” (Actes 20:29).
Le Christ Jésus a dit:
“Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur les épines, ou des figues sur les chardons?” (Matthieu 7:16).
Le bon fruit spirituel manifeste la nature des doctrines que l’on enseigne. Le Saint-Esprit produit des fruits spirituels chez ceux qui sont réellement nés de nouveau. Ce sont des fruits de repentance, de foi personnelle, et de profonde communion avec Dieu et avec les Siens. Parmi les fruits de la nouvelle naissance on trouve la conscience de la sainteté absolue de Dieu et de la noirceur extrême du péché. Quand Dieu sauve quelqu’un, Il le sauve de l’enfer et de la puissance du péché. Le Seigneur délivre aussi le vrai croyant de la domination de Satan, de l’amour du monde, et des méthodes du monde. Quand il y n’y a ni conviction de péché ni crainte de Dieu, mais amour du monde et de ses méthodes, nous reconnaissons la nature des “fruits”. Tel est le cas pour McLaren. Ses tactiques, ses méthodes, son relativisme, sa conception révisionniste de l’histoire montrent bien qui il suit; et les éléments manquants dans son message sont plus révélateurs encore. La sainteté de Dieu, la conviction de péché, la crainte de Dieu et le message de l’Evangile sont les éléments qui brillent le plus par leur absence dans A Generous Orthodoxy. Au lieu de compromettre ces précieux principes de la foi, le chrétien est appelé à se séparer des promoteurs de telles hérésies, et à combattre sérieusement pour “la foi donnée aux saints une fois pour toutes”.
Notes:
1. Voir http://christianitytoday.com/ct/2004/011/12.36.html 18/01/06
2. Traduit de: Vatican Council II Document N°42, “Reflections and Suggestions Concerning Ecumenical Dia logue”, S.P.U.C., 15/08/70, dans Vatican Council II, TheConciliar and Post Conciliar Documents, Editions Austin Flannery, Vol. I, Section II, pp. 540-541.
3. G. K. Chesterton (1874-1936) a profondément influencé la littérature du 20eme siècle. Son ouvrage Orthodoxy passe en général pour être la pièce maîtresse de son oeuvre. A bien des égards, les écrits de McLaren reflètent la pensée et le style de Chesterton, un Catholique romain convaincu. Les Catholiques répandent activement sa pensée sur l’Internet et par les autres médias.
4. Le Cardinal John Henry Newman a fait de même au dix-neuvième siècle dans son célèbre traité Apologia pro Vita Sua, lequel résume ses arguments sous la forme d’un témoignage personnel. Newman fut d’abord un prélat anglican qui désirait devenir catholique, mais en 1844 le Pape le persuada de rester anglican, et d’user de son influence et de son pouvoir au sein de l’Église anglicane pour ramener l’Église d’Angleterre dans le bercail romain, stratégie qui s’est avérée fort efficace. Voir l’ouvrage de Walter Walsh, The Secret History of the Oxford Movement (Ed. Swan Sonnenschein & Cie., Londres, 1898).
5. Brian McLaren, A Generous Orthodoxy , Ed. Zondervan, 2004, Grand Rapids, MI. (Eléments soulignés dans le texte original).
6. Un exemple frappant des projets à long terme de la papauté est le “Mouvement d’Oxford”, visant à reprendre l’Angleterre après la défection d’Henri VIII au 16èmesiècle. Le plan fut mis en place en 1844, John Henry Newman étant l’homme-clé dans l’Église d’Angleterre, pour ramener cette institution vers le catholicisme et refaire de l’Angleterre un pays catholique. Au sein del’anglicanisme, Newman fonda ce qu’on appelle le groupe “anglo-catholique”. Westcott et Hort en faisaient partie. Ce mouvement continue de se développer sous d’autres appellations. En Allemagne, la Fédération Luthérienne tomba dans un piège comparable en signant le Concordat du 31 octobre 1999 à Augsbourg. Quatre cent quarante ans plus tôt, c’était la signature du Traité d’Augsbourg (25 septembre 1955) par leque l l’Allemagne ratifiait la Paix de Passau de 1552. Ce traité mettait en place la Réforme en accordant aux Églises protestantes allemandes tous leurs droits et tous leurs biens, dans une totale indépendance par rapport au Pape. La question centrale, à l’époque, était la justification par la foi seule, que Martin Luther avait si clairement expliquée le 31 octobre 1517. La question centrale du Concordat de 1999 était la même, mais il fut alors déclaré que la Réforme avait été une erreur, et que Luthériens et Catholiques partagent maintenant la même foi quant à la justification. Rien ne pourrait être plus loin de la vérité; mais après trente ans de dialogue avec les Catholiques, les Luthériens ont renoncé à leur position historique au sujet de cette vérité biblique. Le Concordat du 31 octobre 1999, revenant sur les positions prises par Luther le 31 octobre 1517, fut donc signé là même où le Traité d’Augsbourg de 1555 avait accordé la liberté de culte aux protestants. A la lumière de ces faits historiques, comment croire que ces dates et ce lieu sont dénués de signification?
7. McLaren, A Generous Orthodoxy , pp. 22-23.
8. Ibid.
9. Pour se renseigner sur les “cinq points du calvinisme”, on peut consulter l’article suivant (en français): http://www.chez.com/kustodia/tulip.htm
10. McLaren, même ouvrage que ci-dessus, p. 199. Les éléments soulignés sont dans le texte original.
11. McLaren, p. 92.
12. McLaren, p. 105.
13. McLaren, p. 133.
14. McLaren, p. 143.
15. Catéchisme de l’Église Catholique, § 113, italiques dans le texte original. Ed. Centurion/Cerf/Fleurus -Mame/Librairie Editrice Vaticane, Paris, 1998.
16. Document Dominus Iesus du 5 septembre 2000,http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20000806_dominus-iesus_fr.html
17. McLaren, p. 133.
18. McLaren, pp. 132, 133.
19. Thomas M’Crie relate qu’en Espagne au seizième siècle, l’Archevêque Fernando de Talavera voulut traduire la Bible en Arabe afin de gagner les Maures à Christ. Le Cardinal Ximenes, qui exerçait une grande influence sur le gouvernement de l’Espagne, s’y opposa avec force, car selon lui, c’eût été donner des perles aux porcs. Pour lui, “les écritures sacrées ne devaient être conservées que dans les trois langues de l’inscription apposée sur la croix de notre Sauveur… Cette opinion romaine selon laquelle l’ignorance est la mère de la dévotion fut chaleureusement approuvée par son biographe.” En outre, le cardinal estimait que le commun du peuple risquait de tordre les Ecritures, pour sa propre perte… Alors parurent les ouvrages promis par le Cardinal pour remplacer les Evangiles et les Epîtres: des traités de dévotion mystique ou plutôt monastique, ainsi que les vies de certains de ses zélotes les plus éminents, tant hommes que femmes.” Thomas M’Crie, History of the Progress and Suppression of the Reformation in Spain in the Sixteenth Century. Edité à Edimbourg par William Blackwood, et à Londres par T. Cadell, 1824. Réimprimé par Hartland Publications, 1998, pp. 46-47.
20. Peter Allix, The Ecclesiastical History of the Ancient Churches of Piedmont and of the Albigenses (1619; 1690, 1692, 1821). Réimprimé par Church History Research & Archives (CHRA), 1989. Chapitres III et IV. Voir également Jean-Paul Perrin, History of the Ancient Christians Inhabiting the Valleys of the Alps(Philadelphie, Griffith & Simon, 1847). Réimprimé par CHRA en 1991. Ce fut Perrin, un Pasteur Vaudois, qui fournit ses informations à Peter Allix. Il fut présent à une pastorale très importante qui rédigea six articles condamnant l’Église de Rome en tant que prostituée de l’Apocalypse, et prouvant que les Albigeois et les Vaudois n’étaient pas manichéens.
21. M’Crie, Chapitres I et II.
22. Concile Vatican II, Nostra Aetate, Déclaration de l’Église au sujet des religions non chrétiennes, § 2. http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vatii_decl_19651028_nostra-aetate_fr.html
23. Concile de Trente, Session 11 du 13 janvier 1547: “Si quelqu’un dit que la foi justifiante n’est autre chose que la confiance en la divine miséricorde, qui remet les péchés à cause de Jésus-Christ, ou que c’est par cette seule confiance que nous sommes justifiés: qu’il soit anathème [maudit]. http://membres.lycos.fr/lesbonstextes/trentesixiemesession.htm.
24. Document du Concile Vatican II, N° 42, V. Method of Dialogue, (b), Flannery, p. 548.
25. Ibid., (c), p. 548. Caractères gras ajoutés.
26. McLaren, p. 285.
Richard Bennett, site Internet “Berean Beacon”:
http://www.bereanbeacon.org/languages/francais.htm
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