Presse: Biodynamie: jardiner avec la Lune

le 12 septembre 2018 – ÉMILIE BILODEAU  — La Presse

Cousine ésotérique de l’agriculture biologique, la biodynamie prône une activité agricole rythmée par le cosmos. Ses détracteurs crient au mysticisme alors que ses adeptes sont persuadés de son efficacité.

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Mystique ou scientifique?

La ferme Cadet Roussel est luxuriante au coeur de l’été. Poivrons mauves, aubergines rondes, choux chinois… une soixantaine de légumes poussent dans les champs de ce domaine installé au pied du mont Saint-Grégoire.

En apparence, la ferme est similaire à toutes les autres de la vallée du Richelieu. Pourtant, elle est l’une des rares à avoir adopté les préceptes de la biodynamie.

«J’aime évoquer les énergies, ce qu’on ne voit pas, ce qu’on ne peut pas toucher, quand je parle de la biodynamie»,

affirme Anne Roussel, qui a pris la relève de la ferme de ses parents, il y a huit ans, avec son conjoint Arnaud Mayet.

Comme ses confrères qui pratiquent la biodynamie, Anne observe le calendrier lunaire pour effectuer différentes tâches à la ferme. Si la Lune influence les marées, pourquoi n’influerait-elle pas sur le sol et les cultures qui contiennent aussi de l’eau?, se questionne-t-elle.

Anne Roussel suit le calendrier lunaire développé par Maria Thun, en 1963. Chaque été, la chercheuse sème quotidiennement des légumes et elle observe leur croissance. Après plusieurs saisons, elle arrive à la conclusion que certains jours sont favorables aux légumes racines (carottes, radis, pommes de terre), fruits (tomates, aubergines, poivrons), feuilles (laitue, bette à carde) et fleurs (brocoli, choux-fleurs), selon le passage de la Lune devant les signes du zodiaque.

Mais l’almanach de Maria Thun demeure un outil et non une bible que l’on suit religieusement. Du moins, pas à la ferme Cadet Roussel, qui est néanmoins certifiée biodynamique.

«À ce temps-ci de l’année, on règle les urgences. Si les haricots ont besoin d’être cueillis, on les cueille que ce soit une journée fruit ou une journée feuille»,

explique Anne.

Anne et Arnaud suivent plus fidèlement le calendrier au moment des semis et ils y ont porté une attention particulière lors des récoltes, l’année dernière. Anne ne peut pas prouver que c’est uniquement grâce à la biodynamie, mais les légumes se sont conservés mieux que jamais. Il y a trois semaines, des clients ont enfin mangé des betteraves cueillies l’été dernier.

Il n’y a qu’au périgée, quand la Lune est la plus proche de la Terre, qu’Anne et Arnaud ne touchent pas à la terre. «Mais les employés n’ont quand même pas congé, s’exclame Anne. Il y a plein d’autres choses à faire quand c’est une journée noire. On peut réparer le tracteur, retaper la grange ou faire des livraisons.»

Une corne de vache sous la terre

La biodynamie, basée sur les études de Rudolf Steiner, repose aussi en grande partie sur les préparations qui doivent être appliquées sur les plantes et qui font partie du cahier des charges permettant d’obtenir la certification Demeter, en quelque sorte l’équivalent d’Écocert pour les produits biologiques. Notons toutefois que Rudolf Steiner est parfois critiqué, car ses recherches ne s’appuient pas sur une méthode scientifique.

La bouse de corne est le plus étonnant de ces mélanges. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une corne de vache, remplie de bouse, enterrée dans le sol. Au bout d’un hiver, le fumier se transforme en riche compost. Les fermiers diluent cette préparation dans l’eau pendant 60 minutes, ni plus ni moins, et l’épandent sur le sol pour aider les mycorhizes, de bons champignons, à se développer et à nourrir les plantes.

La silice de corne – du quartz broyé dans une corne – est plutôt pulvérisée sur les feuilles des fruits et des légumes. «C’est le lien entre la plante et le cosmos», explique Michael Marler, copropriétaire du vignoble Les Pervenches, avec sa femme Véronique Hupin.

Dur de dire si la biodynamie y est pour quelque chose, mais quand les vins des Pervenches arrivent dans les épiceries fines, les gens font la file pour se procurer une bouteille. Celles-ci se vendent littéralement en quelques minutes.

En 2000, Michael et Véronique ont racheté le domaine de Farnham qui était alors cultivé de manière traditionnelle. Rapidement, ils ont mis en doute les manières de faire.

«On a acheté le domaine et il n’y avait qu’un pulvérisateur à dos fait d’une combinaison de style lunaire, d’un masque et d’un sac à dos, raconte Véronique. On lisait les étiquettes de ce qu’on vaporisait et ça disait de ne pas entrer dans le champ pendant les sept jours suivant l’application ou encore 90 jours avant les récoltes.»

Même s’il s’est fait qualifier de «fou» par plusieurs membres de son entourage et par des oenologues de la province, le couple a décidé de se convertir à la biodynamie en 2005. Treize ans plus tard, il ne regrette en rien ce grand changement.

Comme leurs collègues de la ferme Cadet Roussel, les propriétaires du vignoble Les Pervenches sont d’avis que leurs fruits goûtent meilleur que ceux cultivés de manière conventionnelle.

«C’est sûr qu’on y croit. Toutes les heures qu’on passe à récolter les orties, la prêle, à faire des décoctions… Ce n’est pas un boulot à temps plein, mais presque, si on veut bien le faire»,

dit Véronique.

«On goûte la différence. Sinon, on ne le ferait pas.»

Dans le sillon du biologique

La biodynamie connaît un intérêt marqué en France. Entre 2016 et 2018, le nombre de fermes certifiées est passé de 550 à 800. Au Québec, il n’y en a pourtant que trois. Pourquoi?

Anne Roussel est convaincue que la biodynamie va connaître un brillant avenir. Mais avant, l’agriculture biologique doit continuer à gagner du terrain, martèle la présidente de l’Association de biodynamie du Québec et administratrice de la ferme Cadet Roussel.

«Il y a beaucoup de fermes conventionnelles, alors en ce moment, quand un producteur cultive en biologique, il se démarque»,

dit-elle.

«Le jour où il va y avoir huit fermes bios dans un village, il y aura un nouveau besoin de se différencier, et c’est par la biodynamie que ça va se faire.»

La ferme Cadet Roussel, qui produit une soixantaine de légumes, a reçu sa certification biologique en 1985. Cinq ans plus tard, elle s’est convertie à la biodynamie. Au fil des années et à force de fréquenter les marchés fermiers, Anne Roussel a remarqué que les consommateurs sont de plus en plus informés au sujet de l’agriculture biologique.

«Au début, quand on faisait les marchés, je me souviens que la seule question à laquelle on répondait, c’était: “c’est quoi, du bio?” Mais aujourd’hui, les questions vont beaucoup plus loin. On nous demande qui est notre certificateur, ce qu’on fait contre les mauvaises herbes, d’où viennent nos semences.»

Nécessairement, en étant plus informés sur l’agriculture biologique, les consommateurs vont commencer à s’intéresser à la biodynamie, croit Anne Roussel.

Biodynamique, mais non certifié

L’Association de biodynamie du Québec compte tout de même plus d’une centaine de membres, des particuliers et des fermes agricoles. Mais tous ne demandent pas la certification Demeter.

C’est le cas de Jean-François Clerson, de la ferme les Broussailles. En plus de pratiquer la biodynamie, il confectionne plusieurs préparations, comme des cornes de bouse et de silice, pour des fermes de la province.

Pour M. Clerson, la biodynamie est un cycle qui demande de la patience et de la rigueur: cette méthode implique qu’on amasse les fumiers, qu’on les transforme en compost et qu’on les retourne à la terre pour l’enrichir d’année en année. Le producteur de fromages de lait cru croit que sa ferme, en activité depuis quatre ans seulement, doit prendre un peu de maturité avant de demander une certification biodynamique.

Ce fermier de l’Estrie a appris les rudiments de la biodynamie en Suisse, où il a habité pendant 10 ans. Pour lui, il ne fait aucun doute que cette manière de faire de l’agriculture est une «valeur ajoutée pour la santé des sols, des plantes et des animaux».

«En Suisse, la biodynamie fait partie des moeurs. Les gens connaissent la certification Demeter et on trouve le logo dans les épiceries. Ce n’est pas le cas ici»

dit M. Clerson.

«Ça ne prend pas juste des producteurs qui travaillent en biodynamie. Ça prend aussi des consommateurs qui veulent acheter biodynamique.»