REJU Emmanuelle , le 20/04/2001 à 0h00
la-croix.com
Certains sont venus à visage découvert, la voix forte et claire, comme la cantatrice Evelyne Bellaton. D’autres, emmitouflés dans des écharpes, se sont dérobés aux caméras. « Babas cool » ou artistes en quête spirituelle, membres historiques ou plus récents de l’Ordre du Temple solaire, tous évoquent des motifs différents pour avoir, un jour, intégré la « fraternité » ou la « communauté » fondée par Jo Di Mambro. Reste que, l’un après l’autre, ces anciens adeptes venus témoigner devant le tribunal correctionnel de Grenoble ont tenu un discours d’une remarquable cohérence : Michel Tabachnik n’a rien à faire là, assis derrière eux. « Oui, Michel est encore pour moi un frère spirituel, a martelé, hier matin, Louis Faucon, 70 ans, ancien jardinier de la communauté. Et oui, je ferai tout pour le sortir de cette accusation injuste. »
Le seul coupable, aux dires de ces adeptes, est mort à Salvan, en Suisse, en octobre 1994. « Une seule personne est responsable et c’est Jo Di Mambro », a affirmé ainsi hier la compagne de Louis Faucon, Liliane Chantry. Seul le gourou de l’OTS était capable selon elle d’entraîner les autres dans la mort. « Même moi, s’il me l’avait demandé, je serais partie avec lui, car j’avais l’impression d’avoir vécu quelque chose hors de l’ordinaire, et j’avais assez confiance en lui pour le suivre jusqu’au bout », poursuit Liliane Chantry.
Michel Tabachnik avait perdu son statut de dauphin
A entendre les anciens adeptes, Michel Tabachnik, souvent absent de la communauté, pouvait passer pour un invité de marque, voire pour un dignitaire de l’ordre. Mais le vrai patron, c’était Jo Di Mambro, et Luc Jouret dans une moindre mesure.
Le chef d’orchestre n’avait-il pas été néanmoins pressenti pour être le dauphin du gourou Di Mambro ? « C’est vrai, au début, Michel était considéré comme le fils spirituel de Jo, raconte Evelyne Bellaton. Mais très vite, leur grande amitié s’est gâtée. Michel n’était pas assez obéissant. Et dès 1980, il avait perdu son statut de dauphin. » N’y avait-il pas de messages morbides dans son enseignement, réuni dans des écrits baptisés « Archées » ? L’un après l’autre, les témoins utilisent les mêmes termes : « Ces textes étaient incompréhensibles et parfaitement hermétiques pour nous. »
Rien dans l’enseignement prodigué au sein du groupe ne pouvait selon eux aboutir à un suicide collectif. Bien sûr, on y parlait beaucoup de la mort. « Mais c’est le cas de toutes les religions, relève Liliane Chantry. Dans l’Eglise catholique aussi on parle du paradis ! Et comme nous croyions à la réincarnation, il n’est pas incompréhensible pour moi que des gens aient suivi Di Mambro quand il le leur a demandé. »
Quant au drame du Vercors, quinze mois après la mort du gourou, les interprétations divergent. Evelyne Bellaton et son mari Roland, encore terrorisés, y voient la marque d’une intervention extérieure. Pour Liliane et Louis, qui ont assisté aux dernières réunions des futures victimes du Vercors, il est le fruit d’une véritable dérive. « La plupart étaient frustrés de ne pas avoir été appelés pour les premiers départs et souhaitaient rejoindre nos frères et soeurs », explique le couple.
« On les sent encore tellement imprégnés… »
Quant au contenu des conférences de juillet et septembre 1994 où Michel Tabachnik, véritable maître de cérémonie, annonçait « la fin de l’ordre », aucun n’y voit la prédiction d’une quelconque apocalypse. « Pour moi, cela signifiait que nous n’avions plus besoin de structure pour mener une vie juste, a affirmé l’ancien adepte Hugues Nicolet. C’était une façon de nous dire que nous étions devenus adultes. Nous entrions dans une association plus légère, la Rose-Croix, et dorénavant, nous allions simplement nous reconnaître par le regard et par le coeur. » Hier matin, à la fin de l’audience, Michel Tabachnik, toujours présent mais silencieux, ne se disait guère étonné du soutien reçu par ses anciens amis. « Ils me connaissent… » Rose-Marie Jaton, la présidente de l’association des victimes de l’OTS, qui a perdu quatre membres de sa famille dans les drames survenus en Suisse, se disait, elle, effondrée. « Ils n’ont soi-disant rien compris à l’enseignement, et pourtant, on les sent encore tellement imprégnés ! » Liliane l’a reconnu au cours de l’audience : même les tests d’ADN ne l’ont pas encore convaincue qu’Emmanuelle, censée être née par « théogamie », sans contact physique, est bel et bien la fille de Jo Di Mambro.
Emmanuelle REJU