Encyclopédie des sciences religieuses: La peine de mort

Article de l’Encyclopédie des sciences religieuses de 1877


L’abolition de là peine de mort, ou la conservation, le maintien dans nos codes de ce châtiment rigoureux et de cette suprême expiation au plus haut degré de l’échelle des peines, n’est pas habituellement de nos jours, comme il le faudrait sans nul doute, le plus sérieux et le plus délicat sujet de réflexions, d’étude ; c’est une opinion qu’on regarde à tort comme inséparable d’un certain programme politique. S’il était aussi facile qu’on le croit de répondre par oui ou par non à une question si grave, comment aucun orateur, aucun écrivain, n’aurait-il rencontré l’argument décisif, depuis un siècle, depuis la Révolution française qui la posa nettement et tenta dans les assemblées de trouver, la réponse, au cours d’une discussion au plus haut degré brillante et passionnée? On a prétendu tour à tour attaquer ou défendre cette peine, au nom de la religion, du droit, de la raison philosophique. Avec moins de passion, on se serait résigné à observer simplement les faits et à consulter la science pénitentiaire. En matière de répression pénale, et à tous les degrés du châtiment, réclusion, emprisonnement cellulaire, transportation, il faut que l’homme cède à l’une de ces dispositions contraires: rigueur exemplaire ou philanthropie, justice ou pitié. Il n’y a pas autre chose ici. Dans l’état actuel de nos mœurs, la nécessité doit-elle faire maintenir, aux premiers articles de notre loi, une peine que, par humanité, nous nous sentirions portés à abolir? Voilà la question.

1- Controverse au point de vue philosophique

On va jusqu’à soutenir, d’une manière générale, que la société peut seulement corriger, et n’a pas le droit de punir. N’insistons pas sur cette erreur. Il faut, pour la partager, accuser d’égarement l’esprit de tous les peuples et le consentement universel. C’est une peine, et une peine souvent fort dure, qui accompagne dans nos codes, comme sanction, chaque disposition du législateur. Laissons à la société, c’est-à-dire à l’autorité visible, le soin de veiller à l’ordre matériel, notre premier intérêt, et le droit, pour l’obtenir, d’employer tous les moyens efficaces et nécessaires. Ce droit, établissons-le d’une part, sur la loi morale imprimée par Dieu dans la conscience de l’homme qu’il a créé libre, et d’autre part sur la nécessité pour nous tous de vivre en société. Aujourd’hui, d’ailleurs, il n’est plus sérieusement contesté. Un jurisconsulte, un partisan décidé de l’abolition de la peine de mort, M. Jules Favre, le déclarait, il y a, quelques années, au Corps législatif (séance du 6 avril 1865, discussion de l’Adresse): « Oui, la société a le droit de punir. Pourquoi ? Parce qu’elle est le résultat de la puissance collective du groupe qui s’appelle une nation. Sans le droit primordial de punir, les sociétés n’existeraient pas. » Reconnaissant donc que la société a ce droit, on s’attache à présenter avec force une objection nouvelle, et l’on demande s’il ne convient pas qu’elle en suspende l’exercice avant d’arriver à l’extrême limite, c’est-à-dire au sacrifice de la vie même de l’homme? A l’Assemblée nationale (séance du 15 septembre 1848), Athanase Coquerel, qui avait le premier la parole, commençait ainsi l’attaque, dans un éloquent discours: « La peine de mort ne corrige jamais…
Reconnaissez que les mots repentir et conversion ne sont pas vides de sens. S’il est vrai que le criminel peut effacer son crime devant Dieu par le repentir et le remords, pourquoi voulez-vous lui ravir l’occasion et le temps de l’effacer devant l’homme? » Dans la même discussion Victor Hugo s’efforçait d’établir le principe de l’inviolabilité de la vie humaine, principe adopté et soutenu, de nos jours, par tous ceux qui demandent l’abolition de cette peine. Il convient de rapprocher ainsi ces deux arguments qu’une même idée, le respect pour l’oeuvre de Dieu dans la création de l’homme, lie étroitement l’un à l’autre. On peut refuser de se rendre à de semblables raisons sans en méconnaître la force. Ne rappelons pas qu’il est toujours dangereux de faire intervenir Dieu à notre gré dans nos controverses humaines, et que les théocraties qui l’ont tenté n’ont jamais laissé après elles, en disparaissant, de vifs regrets. Il est aisé de répondre au premier de ces arguments qu’en fait les condamnés dont la peine a été commuée ne se convertissent ni habituellement, ni souvent, et qu’au contraire il y a un nombre relativement important de convertis de la dernière heure qui manifestent en allant à la mort des sentiments véritablement chrétiens de repentir. On veut établir et rendre à jamais respectable (c’est l’autre argument) le principe de l’inviolabilité de la vie humaine. Dieu seul a donné la vie, dit-on, et il peut seul la reprendre; Alors que devient le droit de la guerre ? Que devient le droit de légitime défense? Ce dernier n’est nié par personne. Défense individuelle ou défense sociale, on se sent autorisé, que dis-je ? contraint, par l’instinct de conservation et par son propre droit à l’existence, à atteindre l’agresseur qui s’est mis lui-même hors la loi, jusque dans la source de la vie, à méconnaître son droit à l’inviolabilité, et à ne plus tenir compte de son salut éternel 1 « Si le pouvoir doit considérer les droits naturels comme sacrés, écrit M. Faustin-Hélie, s’il ne doit intervenir que pour en garantir l’exercice, il est clair que ces mêmes droits forment le domaine de la pénalité, quand l’agent s’est rendu indigne de les exercer ; ils peuvent être suspendus, anéantis dans sa personne. » Le droit à la liberté est-il moins un don de Dieu, moins inviolable que le droit à l’existence? Evidemment non. Et cependant les adversaires de la peine de mort le violent tous les jours dans la personne des malfaiteurs arrêtés, par un motif pareil, identique, la nécessité. Aussi jamais la conscience du genre humain ne s’est-elle soulevée contre cette expiation suprême, et souvent même, dans les crimes atroces et flagrants, le cri public, devançant le jugement, la demande au magistrat. Dans l’antiquité, Platon, bien qu’il eut compris le premier que le but de la peine était habituellement de rendre l’homme meilleur, n’élevait aucune objection contre la sentence de mort qui frappait les grands criminels. ********* dit-il dans son neuvième livre des Lois. Chez les chrétiens des premiers siècles, Justin, Athénagore, Théophile, Saint-Augustin qui voudrait qu’on se bornât à enfermer les malfaiteurs, mais permettait de frapper à mort les hérétiques, ce qu’on peut relever contre la peine de mort, ce n’est F as proprement une doctrine, c’est l’horreur pour des supplices devenus l’amusement et le spectacle des païens, pour des supplices dans l’exécution desquels ils figuraient presque toujours, eux, chrétiens, comme victimes ; c’est aussi l’espoir prochain de leur suppression, plutôt que la conviction actuelle de leur inutilité à l’égard des criminels. Grotius, au dix-septième siècle, idans son célèbre traité De jure belli et pacis (éd. prim , lib. I, p. 49 ss., Paris, 1625, après avoir fait cette remarque: Capitalibus judiciis si non interfuerunt christiani, !taud mirum, cum plerumque de christianis ipsis esset judicandum, établit sur divers passages de la Bible, le droit d’ordonner la mort (1 Titmoth. II, 1. 2. 3. 4; Luc III, 14 ; Actes XXV, 2 ; 1 Pierre II, 19. 20 ; Apoc. XVIII, 4), et réfute les arguments .que des adversaires de son opinion prétendent emprunter à des passages, contraires (Esaïe II, 4; Matth. V; 1 Cor. VII, 4, etc.), et l’on arrive ainsi sans discussion, sans contestation sérieuse, jusqu’au dix-huitième siècle, jusqu’à Beccaria. —

2. La peine de mort en France

Historique:
C’est à la publication du Traité des délits et des peines de Beccaria qu’il faut faire remonter la longue controverse élevée depuis plus d’un siècle sur ce difficile sujet. L’éminent auteur avait écrit:
Quel peut être ce droit que les hommes se donnent d’ « égorger » leur semblable? Qui jamais a voulu donner, aux autres hommes le droit de lui ôter la vie ? » (éd. de Lausanne, 1766, p. 114). Son système, établi sur une erreur commune à plusieurs des philosophes du dix-huitième siècle, l’hypothèse d’un « contrat social » primitif intervenu entre les hommes, devait être bientôt abandonné. Aucun membre de la société, disait-il, n’avait pu consentir dans le pacte primitif à faire le sacrifice de sa vie. Or, Jean-Jacques Rousseau tirait du même principe la conséquence absolument contraire, et Kant (Doctrine du droit politique, trad. Barni, p. 20) répondait de son côté que personne West puni pour avoir voulu la punition, mais pour avoir voulu et accompli une action punissable. Ce qui devait rester, après ce mot de Beccaria, c’était une grande question décidément posée, sa protestation au nom de l’humanité, et jusqu’à ce ton déclamatoire (qu’on ne cesse de retrouver plus tard dans toutes les discussions) qu’il prend le premier quand il accuse la société d’ « égorger » ceux qu’elle ne fait que punir. Voltaire qu’on avait déjà le tort, en cette matière, d’écouter avec plus de faveur que Montesquieu, publie un Commentaire du livre de Beccaria, « livre qui, est en morale ce que sont en médecine le peu de remèdes dont nos maux pourraient être soulagés, » et ajoute pour son compte « qu’un homme pendu n’est bon à rien. ».Il n’en fallait pas plus, et l’on pouvait prévoir que quelques uns des hommes de la Révolution, avec moins de réflexion que de générosité, attaqueraient la peine de mort comme une erreur et un abus de l’ancien régime. N’avaient-ils pas raison sur un point au moins, la torture? En effet, depuis 1789, dans toute nouvelle assemblée, à chaque changement de régime politique, on voit invariablement revenir, comme une proposition inévitable, quelque demande tendant à l’abolition de cette peine. A la première Assemblée nationale, à propos du Rapport sur le projet du code pénal, au cours des séances du 23, du 30 et du 31 mai 1791 (consignons à cette place, après les avoir recueillis spécialement pour les lecteurs de l’Encyclopédie, tous ces renseignements précis), s’ouvre un très intéressant débat auquel prennent part en première ligne, avec un talent, une richesse d’arguments qui n’ont pas été dépassés dans les discussions plus récentes, deux anciens membres du parlement de Paris, Lepelletier de Saint-Fargeau et Adrien Duport. On voudrait pouvoir insister sur ce projet pour dire, malgré le talent et la bonne intention, à quel épouvantable système de cachot, de torture morale et d’inquisition il s’agissait de soumettre le criminel pour lui épargner une mort cent fois préférable. A la Convention, on décide par une loi du 4 brumaire an IV, que l’abolition commencera à dater du jour de la publication de la paix générale.Ce jour fortuné n’arriva jamais. Dans la suite, en 1810, à propos du code pénal actuel, en 1824, en 1830, en .1832, à l’occasionde la révision du même code, en 1848 à la Constituante, en 1849, en 1854 au Corps législatif, en 1861 au Sénat (discours de M. Delangle), en 1865 (le 6 avril, proposition de M. Jules Favre); en 1870 (le 22 mars, proposition de M. Jules Simon), la même demande a été faite et rejetée. Une dernière, présentée par M. Schœlcher, sous la République, en 1872, à eu le même sort. On peut affirmer sans erreur, quoique cette proposition ait donné chaque fois lieu à de brillants assauts oratoires, qu’il ne s’est pas produit depuis la fin du dix-huitième siècle un seul argument véritablement nouveau. Arrivons à présent aux points soumis à l’examen dans ces assemblées.

3. Discussion sur le droit et sur les faits.

Pour permettre à ceux qui étudient notre système de répression de se rendre compte de la bonne application et de la valeur des peines, la doctrine énumère un certain nombre de qualités qu’elles doivent avoir. Il en manque une ou deux à la peine de mort. Elle a, par exemple, toute la brutalité du fait une fois accompli, elle est « indivisible. » Mais insister sur. .ce point ce serait se.plaindre d’un adoucissement; elle était divisible en quelque manière, susceptible de plus ou de moins, quand on infligeait la torture. Encore convient-il de remarquer qu’elle peut être graduée, puisque la loi indique certaines mesures de sévérité à prendre contre ceux qui ont été reconnus coupables de parricide, et puisque son application permet de distinguer entre le meurtrier et ceux qui ont été condamnés aux travaux forcés à perpétuité pour d’autres crimes. Elle est «irréparable. » Voilà sans doute l’argument le plus fort des partisans de l’abolition. Sous leur plume les cas d’erreurs judiciaires se rencontrent (voyez Jules Simon, La peine de mort, 1870, et séance au Corps législatif du 22 .mars, même année) fréquents, multipliés jusqu’à l’invraisemblance. En réalité, ces cas sont très rares aujourd’hui, et il est facile de le comprendre. Qui ne sait que le jury s’empresse d’accorder les circonstances atténuantes, quand la préméditation n’est pas tout à fait démontrée, quand il y à un doute, même le plus léger, et souvent (on le lui reproche) quand il n’y en a pas du tout. Ajoutons que la loi de 1867 sur la réhabilitation a été faite en faveur de la famille du condamné en vue des erreurs possibles. D’ailleurs, ces considérations de droit, qui ont leur grande valeur, passent au second rang, s’il est vrai qu’on se trouve ici en présence d’un intérêt de premier ordre, de l’intérêt-social. C’est sur ce point de fat, la nécessité de la peine de mort, que porte actuellement tout le débat. Si elle est nécessaire, disent leS partisans de l’abolition, comment expliquez-vous qu’on ait appris à s’en passer déjà dans plusieurs pays, notamment en Portugal, en Allemagne et en Amérique, au moins dans certains petits Etats ; que le nombre des attentats diminue ,partout à mesure que les exécutions deviennent rares; que le jury s’obstine à accorder les circonstances atténuantes dans quelques-uns de nos départements ? N’est-ce pas presque un crime de maintenir provisoirement ce châtiment irréparable, puisque vous reconnaissez vous-même qu’il est injuste et destiné à disparaître dans’un temps prochain? — On pourrait répondre: si les crimes de viennent moins nombreux dans les « grands pays » qui tous, sans exception, ont conservé dans leurs lois et prononcent contre les criminels la peine capitale, c’est que cette peine produit l’effet qu’on en attend précisément, l’intimidation; et si les petits pays l’ont supprimée, c’est qu’ils sont dans le cas de ce duché de Toscane qui donnait déjà l’exemple au dix-huitième siècle, « si peu étendu, écrivait Dupaty, que le prince voit passer pour ainsi dire une pensée mécontente au fond de l’âme des sujets, et l’arrête tout court, par un seul mot.’» Mais n’est-il pas plus simple et plus conforme à la vraisemblance de faire honneur de cette horreur croissante pour le crime à l’adoucissement des mœurs et au progrès de la civilisation? On se trompe également quand on accuse. le législateur, le magistrat de conserver e d’appliquer provisoirement une peine qu’il sait injuste. Injuste? Non, mais dure, cruelle, lourde moins à la conscience qu’au cœur de celui qui l’applique. Mais serait-il vrai, comme le soutiennent les partisans de l’abolition sans se décourager, .que le recours au dernier supplice contre les malfaiteurs, s’il n’est pas même efficace et nécessaire, est de plus funeste, parce qu’il produit le crime au lieu de l’empêcher? A cette objection se rattache la question importante de la publicité des exécutions. Il est en vérité bien difficile de prendre parti sur ce point (la proposition de procéder à l’exécution dans la prison-même, rejetée au Corps législatif dans la séance du 21 juillet 1870, vient d’être reprise en 1879, à la suite de récents scandales, par M. Dufaure, sans que la discussion ait encore eu lieu), quand on voit, sans parler dés soupçons du public qui ne veut pas croire à certaines exécutions, s’il ne les a vues, les adversaires de la peine de mort s’écrier tantôt qu’il est honteux de dresser l’échafaud sur une place où vont se produire de déplorables scènes, et tantôt, si l’on fait droit à leur réclamation, que la société le désavoue tout en s’en servant, puisqu’elle le cache. Il est bien vrai que certains criminels ne sont pas intimidés par la vue du supplice, puisque plusieurs condamnés à mort ont déclaré qu’ils avaient assisté à une exécution peu de temps avant leur crime. Il est bien vrai que tantôt l’audace du condamné et tantôt sa souffrance peut provoquer parmi les spectateurs une impression fugitive d’étrange admiration ou de pitié qui s’égare. Mais les soldats tiennent aujourd’hui cette foule à l’écart! Mais il est à peine jour quand l’exécution a lieu! Admettons même que  quelques criminels particulièrement vicieux et endurcis ne soient pas intimidés, puisque la torture et la roue autrefois ne les intimidaient pas. Il en est d’autres, et beaucoup, pour lesquels le maintien dans la loi de cette peine sera un frein salutaire. Combien de « préméditations » criminelles (voilà réellement l’effet préventif) sont étouffées par la crainte de la mort! Combien de crimes domestiques, qui ne sont pas commis ceux-là ordinairement par des habitués de la prison, se trouveront prévenus. N’y a-t-il donc que des criminels d’habitude et des voleurs de grand chemin? Ne voit-on pas dans les familles des descendants, des serviteurs de vieillard, avides d’hériter et de jouir ? Sur eux qui existent, ici et là, sans qu’on les puisse compter dans la statistique, l’effet d’intimidation sera, certainement produit. Peut-être faut-il avoir de l’indulgence pour des malheureux, des égarés. Mais les victimes ne méritent-elles pas aussi quelques égards et quelque pitié ? Les adversaires de la peine de mort devraient se demander quelquefois si elles ne sont pas aussi intéressantes, et ne méritent pas d’être protégées, défendues, même un peu plus que les criminels. Il ne faut donc pas dire: La société donne un mauvais exemple, parce qu’elle « se venge.» Non, tel n’est pas son dessein. Elle exerce le droit de légitime défense, qui consiste pour l’individu à frapper celui qui l’attaque, et pour la société à frapper dans le but d’intimider et de prévenir. Intimider, c’est pour cet être collectif, spécial, la société, la manière même de se défendre. En conséquence, la peine de mort est réellement exemplaire, non, comme on le prétendait, dans le mauvais, mais dans le bon sens du mot. Elle est réellement préventive. On en a si bien le sentiment, qu’on a vu plus d’une fois ceux qui proposaient d’adopter le principe de l’abolition à l’égard de la société civile dans les, assemblées, faire des réserves expresses touchant l’armée et la marine. Pourquoi ? Parce que là, l’exemple doit être frappant et immédiat! Ainsi, le langage des adversaires de la peine de mort est, on a pu le voir, généreux toujours, dicté par la philosophie et la philanthropie ; mais fondé en droit et justifié en fait, non.

Achevons cette démonstration:

Ils verraient, en poursuivant leurs recherches et leurs études, tomber plusieurs des arguments sur lesquels ils comptaient le plus pour soutenir que les meurtriers sont tout simplement des malades, et créer pour eux, de la sorte, un privilège d’irresponsabilité. On l’a tenté quelquefois ; cependant, il faut reconnaître que jamais une telle opinion n’a été même exprimée dans une seule de nos assemblées délibérantes ! Mais, par exemple, ils affirment que la mort en perspective n’intimide pas les criminels. Or, la vérité de la proposition contraire apparaît en ceci que, entre eux, quand ils se croient trahis, la mort seule de celui qu’ils accusent peut donner satisfaction à leur détestable besoin de vengeance. A cette question bien naturelle Par quoi remplacerez-vous la peine de mort?» ils répondaient avec force jusqu’en 1848: « Par la transportation ! » Aujourd’hui nous avons des colonies pénales, et la moindre critique qu’on dirige contre ce mode de répression, c’est la constatation de son insuffisance. La condamnation aux travaux forcés dans une colonie, loin d’intimider les détenus, semble presque leur plaire (voy. notre étude sur ce sujet dans le Bulletin  de la Société générale des prisons, numéro de février 1879, Rapport sur la transportation, par le pasteur Arboux, aumônier). N’examinons pas l’hypothèse de l’emprisonnement cellulaire à perpétuité ou à très long terme ; ce serait, à n’en pas douter, une torture morale pire que la mort. Enfin, les partisans de l’abolition ont toujours hâte de faire disparaître le dernier supplice de nos codes pour n’être pas devancés par l’étranger. On disait, en 1791: « Imitons la Toscane, imitons la Russie ; » en 1848: « Imitons Francfort et Berlin ; » en 1870: « Imitons la Suisse. » Et ce qui est vrai, c’est qu’en Russie, en Prusse, en Angleterre, on condamne à mort aujourd’hui comme autrefois ; c’est qu’en Suisse même, l’Assemblée fédérale, composée du conseil national et du conseil des Etats, décidait le 28 mars 1879 la suppression de l’art. 65 de la Constitution, qui avait aboli-la peine capitale, et que le peuple consulté ratifiait le 28 mai cette suppression à vingt mille voix de majorité.

 4. Derniers renseignements de la statistique et conclusion

Que reste-t-il après cette exposition du sujet, et cette attentive discussion ? Non, certes, la preuve que dans le camp des partisans de l’abolition, on a bien fait soit de contester à la société son droit, soit de regarder toutes réserves faites sur cette question comme exclusives du libéralisme en politique. Ce qui est vrai c’est que, ni sous la première ni sous la seconde République, on n’a pu trouver dans les Assemblées pour rayer la peine capitale de nos codes soit une majorité, soit même une imposante minorité. En 1848, la proposition était repoussée par 498 voix contre 216, et en 1865 par 203 voix contre 26. Mais il reste également, à l’honneur de, ceux qui croyaient le temps venu d’en finir avec les exécutions, l’expression d’un désir généreux et d’une espérance que réalisera l’avenir. On peut dire que si le but principal n’a pas été encore atteint, aucune de ces nobles paroles, aucune de ces protestations qui s’élevaient au nom de l’humanité, aucun de ces appels à la pitié n’a été perdu. Lepelletier de Saint-Fargeau, qui devait mourir assassiné, étrange destinée ! pour avoir appliqué à Louis XVI la peine de mort maintenue malgré lui, obtient du moins de l’Assemblée constituante la suppression des tortures. La loi du 18 avril 1832 fait disparaître la peine de mort dans neuf des cas où elle était appliquée, et l’art. 463 C. P. permet encore de la supprimer dans tous les autres cas, eu égard aux circonstances. En 1848, par décret du 26 février, la disposition qui la rendait applicable en matière politique, est abrogée toutes les fois que l’acte délictueux peut se distinguer, par un caractère marqué, des délits de droit commun. En 1867, enfin, une loi sur la révision vise les cas où l’erreur est reconnue. Il est donc certain que cette peine qu’on veut écarter définitivement de nos lois, au nom de l’humanité et de la civilisation, tend à disparaître. La statistique, d’autre part, fournit des chiffres trop élevés encore, mais, à ce point de vue, rassurants. Sur une moyenne, annuelle de 600 crimes pouvant entraîner la peine capitale (tout compris: parricide, empoisonnement, infanticide, assassinat), voici le nombre des sentences de mort qui ont été rendues pendant les dernières années:
  • 31 en 1872, réduites à 24 exécutions par suite des commutations de peine ;
  • 34 en 1873 et 15 exécutions ;
  • 31 en 1874 et 13 exécutions ;
  • 33 en 1875 et 12 exécutions.
  • En 1876, il n’y a plus que 22 condamnations à mort (20 hommes et 2 femmes), 13 commutations en travaux forcés à perpétuité, en 20 ans de travaux forcés, et le chiffre des exécutions tombe à 8.
  • De 1826 à 1852, il y avait eu une moyenne annuelle de 40 exécutions.
Ainsi, nous touchons au but, et le vœu de tout homme de cœur c’est, qu’en attendant, les arrêts de mort soient prononcés le plus rarement passible, dirions-nous volontiers avec Rossi. On a toujours traité cette question dans les assemblées politiques, et cependant la réflexion qui s’impose à la fin d’une telle étude, c’est que peut-être le droit de prononcer l’abolition n’appartient pas en premier lieu aux assemblées. Le jury, recruté partout, dans les campagnes moins protégées et dans, les villes, est meilleur juge du danger social. Qu’il persévère dans l’habitude déjà prise d’accorder les circonstances atténuantes! Que l’opinion, se détournant de cette peine, l’abolisse en fait! On peut être sûr qu’alors personne ne viendra défendre l’échafaud devant les Chambres, et que toute assemblée sera unanime à voter l’abrogation du fameux article 12 de notre code pénal. —
Voyez Dalloz, Répertoire, etc.; Faustin Hélie, Leçons de Droit criminel, I vol. in-8°, Paris, 1.872 ; Procès-verbal de l’Assemblée nationale constituante, 1789-1791 ; tome 56, 57, avec une Table des Pr. Verb., Paris, 1791; Débats de la Convention, 5 vol. in-8°, Paris ; Le Moniteur universel, 1er semestre 1832 ; id., septembre 1848 ; ibid, avril 1865 ; Journal officiel, mars et juin 1870 ; Compte général de l’administration de la Justice criminelle en France en 1876, Imp. nat., Paris, 1878, 4 vol. in-4°.
JULES ARBOUX

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